Chios n'est pas une petite ile. Elle est assez peuplée pour
avoir toutes les infrastructures d une communauté, hôpital, piscine, stade,
toiletteur canins etc Et comme toute communautés organisées, elle a une rue
commerçante principale.
Le nom grec de la rue est aploteria (Απλωταριά) depuis au
moins le 17eme siècle, et provient du verbe aplono qui signifie je étend. En
effet, à l'époque, les commerçants étendaient leurs marchandises sur leur étale
ou sur un tapis, sur cette rue qui mène à la place principale de Chios.
Aujourd'hui, la rue est constituée d'une succession de
magasins de vêtement, de libraires et de nombreuses cafeterias. Comme dans la
plupart des villes grecques, il n'y a pas eu de règles d'urbanisme pour
promouvoir une homogénéité dans le bâti, et on peut trouver cote à cote
d'anciennes maisons bourgeoises du 19eme, des maisons bâties dans les années 30
et des immeubles en bétons typiques des années 60-70 en Grèce. Comme dans la
plupart des villes d’Europe, la rue a été rendue piétonne il y a quelques
années et après avoir juré que ça tuerait les commerces, la piétonnisation à
rendu la rue plus attractive que ses voisines encore carrossables.
Mais si je vous parle de cette rue, ce n'est pas pour
expliquer son histoire somme toute assez banale pour une ville de province
grecque, ni pour vous expliquez qu’un habitant de l'ile ne peut
mathématiquement pas marcher le long de cette rue sans rencontrer au moins 5
personnes qu'elle connaisse. Non, je veux raconter comment cette rue à vécu le
deuxième confinement en grec.
Vendredi 6 novembre, dernier jour avant la fermeture des
magasins, comme partout, les gens se sont rués dans les magasins qui étaient
noirs de monde. J'ai moi même acheté un jogging pour passer les nuits d'hivers
et une carte de Chios pour planifier mes randonnées. Je conseil d'ailleurs fortement
aux gens qui visitent une ile grecque d'acheter une carte plutôt que de se fier
à Google maps, parce que la faible utilisation de ces routes rend les
informations assez aléatoires et on a vite fait de se retrouver sur un chemin
de terre avec une pente de 45% sur l'itinéraire « le plus rapide » dès qu'on
sort des villes.
Le week-end qui s'en suivit, toutes l'île s'arrêta de
bouger. Il n'est pas très compliqué pour la police de contrôler la circulation,
il n'y a que quelques rues qui permettent de sortir de la ville et il est
pratiquement impossible de passer du nord au sud de l'ile sans passer par la
place principale de l'ile. Mais à partir de lundi, on commença à se rendre
compte que le confinement n'était pas vraiment du même genre que le premier confinement.
Les rues n'étaient pas vides, et le système de SMS pour annoncer la sortie de
la maison n'était pas vraiment un obstacle sérieux.
Sur la rue commerçante même, les magasins de téléphonie
mobile ainsi que les magasins alimentaires, les photocopies et les cafés à
emporter ne sont pas fermés. Mais au fur et à mesure que les jours passent,
même ces commerces n'arrivent pas à expliquer le volume de personnes qui se
trouve dans cette rue. Et comme rien ne reste secret bien longtemps à Chios, on
ne tarde pas à comprendre ce qui se trame ... les magasins fonctionnent sur
rendez-vous.
Ce n'est pas un vrai accord entre la police et les magasins,
mais au vu des nécessités du commerce dans une île frappée par la crise des
migrants, un modus vivendi s'est installé : les magasins peuvent continuer à
fonctionner, mais en gardant les lumières éteintes et les devantures fermées.
Ils n'ouvrent que lorsque la personne arrive et téléphone au commerçant.
Heureusement, le numéro de téléphone est écrit sur la porte pour ne pas avoir
non plus à trop chercher.
Au fur et à mesure des semaines, le nombre de personnes qui
utilisent ce système augmente. Dans un magasin vendant des décorations de noël,
c'est même open-shop, mais par la porte arrière. De même, les services à domicile
du genre coiffeurs, ongles etc se sont mis en place. Plus les jours passent,
plus il y a de monde sur cette rue principale. Il y a même un magasin de coques
de GSM dont je me demande vraiment bien quelle est son excuse pour avoir
totalement ouvert.
Bref, encore un exemple parfait des avantages et
désavantages du manque de rigueur dans l'applications des normes en Grèce.
Coté avantage :
- La fermeture des commerces ne faisaient pas vraiment sens
nulle part, mais encore bien plus à Chios où il n'y a jamais eu beaucoup de cas
de Covid. L'ouverture permet de sauver un peu certains magasins.
- A Chios, il n'y a pas autant d'E-commerce qu’en Belgique
ou à Athènes, et les entreprises de transport sont totalement submergées. Sans
ce système, les achats non-essentiels mais quand même essentiels du genre
vêtements pour l'hivers ne seraient pas possible pour les habitants.
Côté désavantage :
- Les taxes ne sont évidemment pas payées par tout le monde,
vu qu'il est interdit de vendre, tout se fait en noir pour la plupart des
magasins.
- Tous les magasins n'ont pas la même envie d'ouvrir
illégalement, ce qui fait que tout le monde n'ouvre pas de là même manière. Au
début du confinement, la présidente du syndicat des commerçants avait enjoint
ses membres à faire preuve de solidarité, appel qui semble bien être resté
lettre morte.
Encore une fois, le respect des normes est diminué sachant
que les règles sont bafouées au grand jour. Tout le monde fait semblant d'être
confiné, mais il y a autant de voiture que normalement, et le couvre feu à 21h
est plus indicatif qu'autre chose. Édicter des lois inadaptées à la région est
contre-productif, parce que violer la loi est vu comme la chose logique à
faire, et son application seraient mal vue. Depuis un mois donc, l'île fait
semblant d'être confiné, ce qui n'a pas empêché les jeunes de se voir, des
foyers de Covid de se déclarer et de disparaître et plus généralement la vie de
continuer tant bien que mal.
Personnellement, s’il y a bien une chose que je
regretterais, ce sera de ne pas pouvoir avoir été à la pèche.
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